Les 3 termes font référence à une pratique similaire, à savoir la stimulation du pavillon auriculaire à visée thérapeutique, mais des différences conceptuelles et historiques persistent.
Auriculothérapie, neuromodulation auriculaire, acupuncture auriculaire : quelles différences ?
L’auriculothérapie, une découverte française des années 1950
L’auriculothérapie est un terme formé par le Dr Paul Nogier dans les années 50. consistant initialement à stimuler le pavillon auriculaire et la conque en vue d’avoir une action thérapeutique. La stimulation du pavillon auriculaire à des fins thérapeutiques est une pratique ancestrale connue depuis plusieurs siècles autour du bassin méditerranéen. Des débats existent toujours pour savoir qui, le premier, a décrit cette pratique.
Avant l'auriculothérapie, la cautérisation auriculaire
La stimulation auriculaire à des fins thérapeutiques était connue depuis plusieurs siècles autour du bassin méditerranéen. Si certains auteurs remontent aux pères de la médecine occidentale (Hippocrate, avec la citation classique "les maladies que les médicaments ne guérissent pas, le fer les guérit ; celles que le fer ne guérit pas, le le feu les guérit ; celles que le feu ne guérit pas, il faut les regarder comme incurables", puis Galien) voire à la médecine égyptienne (Cf par exemple le manuscrit Ebers), les auteurs ayant laissé une trace écrite " solide" n'ont "que" 400 ans. En voici quelques figures :
Zacutus Lusitanus (1575-1642)
Au XVII° siècle, un médecin portugais, Zacutus Lusitanus (à ne pas confondre avec son homonyme Amatus Lucitanus, lui aussi médecin portugais du XVI° siècle, mais né 64 ans plus tôt, connu pour ses observations sur les valves veineuses), dans son traité de médecine "Praxis Medica Admiranda" (1639-42), rapporte l'efficacité de la cautérisation rétro-auriculaire dans un cas de céphalée rebelle. Il ne fait que rapporter une pratique usuelle à cette époque. Le substratum est celui des humeurs de Galien : les oreilles peuvent servir de points de drainage des "humeurs", dont la congestion serait responsable de certaines pathologies. Pour Lusitanus, la cautérisation n'est qu'un moyen thérapeutique parmi d'autres et son regard reste prudent sur cette technique, en mettant en garde contre les cautérisations trop profondes.
Antonio Maria Valsalva (1666-1723)
Valsalva, célèbre pou la manœuvre éponyme connue de tous les plongeurs, était un chirurgien italien et un anatomiste, élève de Malpighi. Dans son traité "de Aure Humana Tractatus" (première édition en 1704, deuxième édition en 1717), il rapporte l'efficacité de la cautérisation sur le versant médial de l'antitragus dans le cas de douleurs dentaires. Fait notable, la localisation rétro-antitragale décrite par Valsalva est toujours utilisée comme zone antalgique, et ce par plusieurs écoles d'auriculothérapie ou d'acupuncture auriculaire !
Pierre-François Percy (1754-1825)
Percy était chirurgien militaire français, célèbre pour avoir développé un moyen de transport des blessés sur les champs de batailles des guerres napoléoniennes, appelé "charrette volante". Il fut un véritable précurseur dans l'organisation des soins de premières lignes avec l'introduction des concepts d'évacuation et de triage des blessés sur le champ de bataille, mais aussi dans les techniques chirurgicales. Ce fut aussi un grand humaniste, en prodiguant les soins aux blessés sans condition de grade ou de nationalité. Ces principes inspirèrent plus tard Henri Dunant, qui fonda la Croix-Rouge. Dans son ouvrage "Pyrotechnie chirurgicale pratique ou l'art d'appliquer le feu en chirurgie" (1811), il décrit plusieurs sites de cautérisation, dont celui de l'antitragus aux oreilles pour les douleurs dentaires, de la même manière que Valsalva j'avais fait un siècle auparavant.
Jules Germain Malgaigne (1806-1865)
Malgaigne était un chirurgien français, célèbre pour ses travaux sur les fractures et luxations. Il a décrit la ligne de Malgaigne, une ligne anatomique partant de l'épine iliaque antéro-supérieure jusqu'au pubis, utilisée pour diagnostiquer les fractures du bassin. Dans la revue médico-chirurgicale (1850), il rapporte le succès de la cautérisation de la partie antérieure de l'hélix dans le traitement de la sciatique. Cette diffusion dans les revues scientifiques de l'époque auraient pu être le début de la recherche clinique sur cette technique, mais c'était sans compter l'opposition d'autres médecins, notamment Duchenne de Boulogne (1806-1875). Ce dernier, tout en reconnaissant l'efficacité de la cautérisation auriculaire, la discrédita car cette technique lui paraissait "barbare". Duchenne, pionnier de l'électrophysiologie, a laissé son nom à une maladie (la dystrophie musculaire de Duchenne) et inspira le père de la neurologie française, Jean-Martin Charcot.
De la cautérisation à l'auriculothérapie : Paul Nogier (1908-1996)
Paul Nogier était un médecin lyonnais qui, à l'époque, était déjà intéressé par une pratique non conventionnelle de la médecine. Il s'était intéressé à l'acupuncture, l'homéopathie et l'osteopathie. Dans sa patientèle, il avait constaté que certains patients souffrant de sciatique avait une amélioration spectaculaire de leurs douleur après avoir subi une cautérisation d'une zone particulière du pavillon auriculaire. Cette cautérisation était pratiquée par une guérisseuse marseillaise, Madame Barrin. Intrigué, Paul Nogier rencontra Mme Barrin, puis entrepris de stimuler le pavillon auriculaire de ses patients douloureux. Le génie de Paul Nogier a été de proposer une "cartographie" du pavillon auriculaire, permettant une stimulation ciblée en fonction de la localisation de la douleur. Il présenta ses travaux en février 1956 au premier congrès de la société méditerranéenne d'acupuncture à Marseille. Ces travaux furent remarqués et publiés en 3 articles dans une revue de référence à l'époque, le "Deutsche Zeitschrift für Akupunktur" une revue allemande.
Postérieurement à cette publication princeps, Nogier baptisa sa technique "auriculothérapie". Il y eu de nombreuses autres avancées dans les décennies qui suivirent, avec notamment la description de fréquences thérapeutiques particulières dites "fréquences de Nogier", d'un réflexe particulier appelé "réflexe autonome circulatoire" et la possibilité de traiter par des lulmières particulières. Ces avancées, regroupées par certains sous le terme d' "auriculomédecine", ne sont pas pratiquées par tous les auriculothérapeutes et ne sont pas validées par des articles scientifiques de bonne qualité méthodologiques. C'est pourquoi le terme "auriculothérapie" regroupe des pratiques parfois assez différentes.
L’acupuncture auriculaire, évolution de l'auriculothérapie ou révolution conceptuelle ?
Les travaux de Paul Nogier, publiés en 1956, atterriront dans les mains de lecteurs japonais puis chinois. Les points décrits par Nogier furent incorporés dans le corpus d'acupuncture chinois par Xu Zuo Lin, un praticien en acupuncture. Ce fut en particulier cet auteur qui décrivit le point "Shenmen", non décrit initialement par Nogier. Les premières cartographies ayant intégré les points décrits par Nogier furent publiées en 1959 par le "groupe d'étude de l'acupuncture auriculaire de la ville de Shanghaï". L'acupuncture auriculaire était née. Plusieurs courants de pensée chinois virent le jour et la technique fut exportée aux Etats Unis dans les années 1970, lors d'une visite d'Etat de Nixon en CHine en février 1972. Mais ça, c'est une autre histoire...
Par la suite, plusieurs réunions visant à unifier les pratiques eurent lieu. La dernière se fit à Lyon, sous l'égide de l'ONU, en 1990. Une trentaine de points firent l'objet d'un consensus entre les tenants d'une approche occidentale issu des travaux de Nogier et les tenants d'une approche chinoise, l'acupuncture auriculaire. Mais au moins autant de points ne purent être acceptés de manière consensuel par les deux parties.
La neuromodulation auriculaire, le meilleur des deux mondes
Le terme de neuromodulation auriculaire est apparu dans les années 1990, d'abord sous la plume de Bazzoni, un élève du Dr Marco Romoli, avant d'être ré-utilisé par d'autres équipes. Cette approche consiste aussi à stimuler le pavillon auriculaire en vue d'avoir une action thérapeutique, dans une vision ne faisant appel qu'à des mécanismes neurophysiologiques validés. Cette approche se base donc sur le corpus scientifique acquis avec la stimulation vagale transauriculaire, mais aussi sur les travaux concernant la stimulation trigéminale ou du nerf occipital : ces deux dernières voies ont été proposées dans le traitement de la migraine.
La neuromodulation auriculaire va se servir des localisations décrites les courants d'acupuncture auriculaire ou d'auriculothérapie, mais la stimulation de ces localisations se fera sur des critères un peu différents, et par des techniques pas forcément employées en auriculothérapie ou acupuncture auriculaire. Si ces techniques peuvent différer par la façon de repérer les zones d'intérêt et les moyens de les stimuler, il existe cependant des points communs : les trois techniques stimulent le pavillon auriculaire en vue d'avoir une action thérapeutique. La neuromodulation auriculaire va donc plus loin que la stimulation vagale transauriculaire en proposant une modulation passant par d'autres nerfs. Cette approche a été validée en IRM fonctionnelle.